Chien de garde de la masseria apulienne : le Cane Corso ...
Ce soir nous allons vous parler de cette fonction de garde, car c'était bien là l'une des fonctions premières et principales du cane corso, même si ce dernier était employé à la conduite du bétail, ou utilisé à la chasse le jour.
Le soir venu il redevenait l'acerbe gardien de la ferme.
Par coutume, mais surtout par pragmatisme le cane corso de garde, a toujours été attaché la journée, d'une part afin d'éviter tout incident avec d'éventuels visiteurs (humains et animaux).
Mais d'autre part afin d'éviter tout affrontement entre les différents « gardiens canins » d'une même exploitation, notamment lors des repas ou en présence d'une femelle etc.
Libérés la nuit ils accomplissaient au mieux leur fonction de garde.
Ces chiens étaient souvent attachés à une chaîne elle-même directement attachée à un anneau fixé soit dans un mur, ou près d'une entrée dans l'anneau qui servait également à l'attache des chevaux ou d'autres bêtes de somme (bœufs, ânes, mules etc.). Ou bien ils pouvaient être attachés à une chaîne (ou plus récemment à un câble métallique) tendue au sol elle-même solidement arrimée au sol à ses deux extrémités, ou encore tendue entre deux arbres.
De nombreux ouvrages spécialisés, parlent de systèmes d'attaches, complexes, aériens, de cordes passées dans des poulies permettant une grande mobilité du chien etc.
Certes ces systèmes ont dû exister, mais nous pensons qu'ils devaient être très peu rependus tout du moins dans la région des Pouilles où ailleurs pour en parler plus longuement dans cet ouvrage, car nous pensons que ces systèmes étaient trop délicats et peu pratiques, comme le dit le proverbe qui résume assez bien notre point de vue à ce sujet « pourquoi faire compliqué lorsqu' on peut faire simple ? ».
La tradition du can' da catena (chien de chaîne) obligeait le maître à confectionner ou à faire confectionner par un sellar' (bourrelier) un large collier de cuir de 5 à 10 cm de large, afin que le chien qui était attaché toute la journée ou une grande partie de la journée voire même toute une vie dans certains cas, se blèse le moins possible.
Comme quand excité à la vue d'un intrus sur son territoire, le chien tire par à-coup violent sur sa chaîne, si le collier est trop fin, ce dernier risquerait de lui entailler les chairs et l'étrangler, puisque la force de traction se repartie sur une petite surface (celle du collier).
Tandis qu'au contraire sur un large collier cette force est répartie sur plus de surface, donc au final atténuée.
Le propriétaire pouvait orner le collier de cuir de son chien, de poils de blaireau, car selon une tradition populaire apulienne les poils de blaireau repousseraient les mouches et moustiques.
Plus couramment le maître pouvait faire également ajouter des pointes métalliques sur des colliers de cuir doublé, qu'il passait au cou de ses chiens les plus « précieux » dans le sens utile à l'exploitation.
Leur offrant ainsi une protection supplémentaire lors de nombreuses rixes canines qui pouvaient débuter dès leur lâché et finir à leur attache à l'aube.
Comme nous le savons tous plus ou moins, les chiens comme les loups affectionnent particulièrement l'encolure pour effectuer leur prise, tentant d'étrangler ou d'égorger leur adversaire ou leur proie pour le loup.
Ces bagarres pouvaient éclater soit entre chiens d'une même masseria ou ceux d'une ferme voisine.
Mais surtout entre « chiens gardiens » et prédateurs (renard, loup, chiens errants).
Certains agriculteurs nous ont spécifié qu'on ne lâchait rarement/jamais plus d'un cane corso à la fois la nuit, sans surveillance.
Comme on disait que ces derniers poussés par la faim ou excités par le jeu en groupe pouvaient retrouver assez facilement leur instinct de prédation et abîmer du bétail ou bien même d'autres chiens.
Ces chiens de garde étaient souvent placés aux endroits dit « stratégiques » de la masseria souvent non loin des accès donnant sur : des dépendances, remises, granges, étables, bergeries, mais aussi des puits, piscines (abreuvoirs ou lieux de lavage des animaux), citernes, neviere (puits qui servaient à stocker de la neige en hiver, afin d'avoir de la glace toute l'année) accolés ou non à la ferme.
Mais aussi pagliai (grange à paille) et bien évidroce, mettant plus en évidence leurs puissantes dents blanches.
Mais surtout pour des raisons bien plus tactique à l'usage, car un chien à la robe sombre laisse moins de chance à un éventuel voleur de l'apercevoir la nuit, donnant plus de réussite sur l'approche du chien, accentuant ainsi encore plus l'effet de surprise.
Mais cette couleur sombre lui permettant aussi de lui éviter quelques coups potentiels de la part du brigand.
La tradition voulait également qu'ils aient les yeux de couleur claire, dits « de rapace » (totalement en contradiction avec le standard de race), couleur qui durcie et intensifie son regard, qui nous devons l'avouer, est naturellement déjà assez sévère sans cette spécificité.
Les pagliailieux où l'on stockait la paille, le foin, fourrage et diverses plantes graminées nécessaire au nourrissement et à la litière pour la stabulation des bestiaux.
Cette paille a également été pendant très longtemps utilisée comme matériau de construction notamment pour son pouvoir d'isolation thermique et son faible coût de revient.
Suite à la forte utilisation de la paille au siècle dernier, ces lieux de stockage étaient fréquemment visités par les voleurs.
Donc pour éviter les vols les paysans avaient pour habitudes d'affecter à la garde de ces édifices un cane corso ayant une robe de couleur fauve clair, couleur qui se fond le mieux à cet endroit pour les mêmes raisons vues précédemment.
La croyance populaire accordait aux chiens ayant cette couleur de robe des prédispositions légendaires pour la garde.
Les cani corsi étaient aussi habilités à défendre contre de nombreux et « misérables » pillards les orti (jardins horticoles méditerranéens), souvent clos par des murs en pierre sèche.
Ces ortis servaient à la culture des légumes, de plantes aromatiques et médicinales et d'ornements.
Le cani corsi pouvaient aussi être affectés à la garde des vergers attenants ou non à la masseria.
Avant 1960, il n'était pas rare de croiser à la belle saison (pour les fruits) un cane corso attaché au tronc d'un amandier, ou d'un grenadier, pêcher, etc.,situés non loin d'une ferme pour en protéger les fruits.
D'ailleurs certains horticulteurs élevaient des cani corsi dans ce seul but, protéger leurs jardins maraîchers.
Surtout si celui-ci était situé en ville, car plus exposé aux yeux d'enfants pauvres et affamés prêts à chaparder de jour comme de nuit, le dur labeur d'un horticulteur bien souvent aussi pauvre qu'eux.
Certaines familles nobles ou bourgeoises du Mezzogiorno, ont immortalisées cet auxiliaire canin jusque dans leurs armoiries familiales.
Comme la famille ORTOLANO, nom de famille qui veut littéralement dire « horticulteur ».
Certaines familles méridionales prirent et utilisèrent comme nom et comme emblème familiale la forte image populaire du cane corso comme les CORSO ou CORSI, ou encore BONACCORSI ou BONACCORSO.
Ce dernier nom qui dérive sûrement des mots buoni corsi ou buon corso, soit bon(s)corso(i) en français.
Il est tout à fait possible d'imaginer qu'il y a quelques siècles, ces familles élevaient et produisaient de bons canicorsi et qu'elles en faisaient même peut-être le commerce.
Ou encore la famille CANGEMI, nom qui dérive lui même du nom de famille CANGELOSI qui en français veut dire « chiens jaloux », lui-même dérivé du mot médiéval CANGEMIUS. emment la cour point névralgique de l'exploitation où l'on entreposait toutes sortes de matériels et de récoltes.
Pour cet emploi on préférait traditionnellement des cani corsi, aux robes sombres (noires ou bringées).
Comme ces couleurs sombres dit-on leurs donnaient un aspect plus féroce.
Nul dressage n'était nécessaire à cette fonction, car le cane corso est par essence un chien de garde.
Les sujets jugés trop passifs étaient systématiquement éliminés.
Les cani corso pouvaient de temps à autres être testés par des personnes étrangères à l'exploitation.
Tests qui précédaient généralement une prise de bec, ou un pari, lors d'une discussion animée entre paysans lorsqu'ils se réunissaient pour discuter sur la place de la ville en fin de journée.
Ces places citadines avaient plusieurs fonctions sociales, en plus de servir de point de rencontre en fin de journée pour les hommes, elle servait également de lieu de rendez-vous le mâtin.
Comme les places étaient généralement occupées par des personnes étant de même corporation. Quand un massaro avait besoin de main-d'oeuvre saisonnière, il se rendait très tôt le mâtin en traino à la place.
De là il recrutait et chargeait la main-d'oeuvre dont il avait besoin, pour ensuite les redéposer au même endroit aussitôt les travaux terminés.
La sélection du chiot destiné à la garde était extrêmement rigoureuse, on choisissait le chiot le plus imposant, issu des parents les plus intelligents, fidèles et les plus intraitables à la garde, ayant une couleur de robe sombre, avec une denture ayant une prise très solide et douloureuse (ciseaux ou tenaille).
On choisissait également le chien le plus calme et dominant de la portée, afin que ce dernier très sédentaire ne s'éloigne pas trop des lieux qu'il devait jalousement défendre.
La morphologie du can' da catena par conséquent, s'est s'adaptée à cette fonction, cette conformation était plus passive voire plus mâtinée, sans être pour autant lymphatique, apathique ou même tératologique (monstrueuse) comme certains éleveurs modernes de cani corsi ou encore de mâtin napolitain voudraient encore nous faire croire.
Cette morphologie « passive » est simplement due à cette fonction spécifique, car en restant constamment enchaîné, ces chiens développaient de génération en génération un barycentre corporel beaucoup plus bas que ceux employés d'une façon plus « dynamique » comme bouvier ou encore à la chasse, une cage thoracique plus volumineuse et plus descendue.
Les attributs extraordinaires que présentaient ces cani corsi étaient quasiment tous concentrés dans leurs têtes, cette structure ostéo-craniométrique était très développée presque cubique.
Cette tête prépondérante était bien souvent associée à une structure ostéo-corporelle horizontale très large, le tout soutenu par une masse squelettique épaisse, très visible notamment chez certains chiens de lignées del Dyrium, della Porta Dipinta, Degli Elmi etc., pour ne citer quelles.
Cette conformation plus massive permettait également à ces cani corsi de pouvoir déclencher des attaques rapides et d'immobiliser l'intrus sans problème sur de courtes distances.
Le type de denture importait peu pour cet emploi, à partir du moment où celui-ci les montrent et sache s'en servir....
Cependant, cette vie captive donc privée d'exercice en somme, a entrainé et ce sur plusieurs générations des problèmes liés au mouvement, dérivés de ces facteurs environnementaux très particuliers, qui sont encore visibles aujourd'hui sur certaines lignées.
Comme notamment une faible angulation des postérieurs, une ligne de dos ascendante du garrot à la croupe et des membres antérieurs légèrement plus courts.
Cette construction crânienne et corporelle plus atone sélectionnée dans un but de dissuasion (le physique du cane corso dissuade le voleur de ne pas entrer) venait contraster avec celle des cani corsi employés librement sur le bétail, qui avaient une construction plus légère, élancée, basée sur la cinémato-fonctionnalité du chien, morphologie sélectionnée quant à elle dans un but de persuasion (le physique du cane corso persuade le bovin à rentrer à l'étable).
La nuit leurs maîtres étaient capables en un seul « coup d'oreille » de savoir s'ils devaient se lever ou non.
Comme les cani corsi voués à la garde avaient selon leurs maîtres plusieurs types d'aboiements, celui qui signalait un humain et différents de celui qui avertissait qu'un animal rodant trop près de la ferme et un autre aboiement moins agressif, mais insistant signalait qu'une bête s'apprêtait à vêler ou s'était blessée dans l'étable par exemple.
Comme vous l'avez compris ce chien avait tout du moins un rôle très PARTICULIER au sein de la ferme.
Le cane corso servait également de garde du corps au massaro lors de ces nombreux déplacements qu'il effectuait tard la nuit ou très tôt le matin hiver comme été.
Le cane corso était bien plus efficace qu'un éventuel homme de main, car il était toujours disponible et loyal envers son maître.
Les cani corsi étaient les chiens préférés des gardes champêtres communaux ou privés.
D'ailleurs à ce sujet mon arrière grand-père paternel Ferdinando GIORGIO surnommé « seppon' », car il avait pour habitude de sauter à cheval les différentes siepe (murs de pierre sèche séparant les parcelles agricoles), était lui-même garde champêtre privé dans une masseria située non loin de la ville Minervino Murge.
Et a utilisé lui-même des cani corsi pour ce travail très délicat. Lorsque les terres des masserie étaient trop fréquemment pillées, par les populations très pauvres des villes voisines, quand elles n'étaient pas pillées par les employés mêmes de l'exploitation.
Le masaro faisait régulièrement appel aux services d'un garde champêtre saisonnier (pour surveiller les récoltes, vendanges ou moissons) ou fixe (pour les grosses exploitations mixtes).
Les gardes champêtres étaient des hommes qui forçaient le respect. Il Patrouillait le jour comme la nuit, à cheval et lourdement armé pour l'époque, Moschetto (fusil) en bandoulière et pistolet à la ceinture, toujours accompagné de son cane corso.
Cane corso qui lui était d'une précieuse aide surtout la nuit, car avec son ouïe fine et son odorat subtile, il arrivait à débusquer même très loin les rôdeurs.
Quand le garde champêtre voyait scattare (partir) à toute vitesse son cane corso dans la nuit, une folle course s'engageait à cheval à travers champs, guidé par les aboiements de son chien, le garde champêtre arrivait neuf fois sur dix à intercepter le pauvre voleur qui tétanisé par les aboiements menaçants du chien et impressionné par les pas lourds du cheval dans la terre, grimpait se mettre à l'abri sur un olivier sans même apercevoir le danger.
Mon arrière grand-père avait une méthode très efficace et très particulière pour que les petits voleurs ne recommencent plus leurs petits larcins (vols de fruits et légumes) sur l'exploitation.
Une fois que le voleur était attrapé, il était acheminé non sans peine, vers l'exploitation où mon arrière grand-père lui promettait tout au long du trajet une raclée mémorable le tout toujours escorté de près par son cane corso près à intervenir à la moindre « entourloupe » de la part du « prisonnier ».
Une fois arrivé à l'exploitation le cane corsoétait mis en chaîne et le pillard ligoté à un grand arbre qui trônait devant l'exploitation. Une fois ligoté mon arrière grand-père faisait mine d'alléchercher le massaro ou le fattore à l'intérieur de la masseria, de là mon arrière grand-mère Chiara surnommée Chiarina, arrivait discrètement toute émut par ce voleur qui lui suppliait de le libérer. Emut par ce pauvre homme mon arrière-grand-mère le libérait de ses liens en lui disant ...- « Filez vite !
Sinon mon mari va vous tuer sur place, je ne l'ai jamais vu dans cet état, là il est vraiment en colère ! »Une fois que le pauvre voleur était libéré, il prenait ses jambes à son cou et s'enfuyait à toute vitesse dans la nuit. Cinq minutes plus tard mon arrière grand-mère courrait vite libérer le chien en lui pointant du doigt la direction vers laquelle le voleur s'était enfuit et ordonnait au chien d'alléchercher le fuyard. Habitué à jouer la comédie, le cane corso courrait de nouveau quelques minutes en direction du fuyard en aboyant agressivement au loin sans même l'apercevoir, afin de l'épouvanter un peu plus. C'était une méthode préventive et très ludique (surtout pour le chien), de punir sans violence les petits vols.
Tout le monde y trouvait son compte : l'intendant qui assistait bien souvent à la scène derrière sa fenêtre, voyait que même les petits vols étaient punis, mon arrière grand-père qui montrait d'une certaine façon qu'il était efficace et donc qu'il n'était pas payé à rien faire et pour finir le pauvre voleur qui aurait pu écoper d'une forte amende pour l'époque, s'il était passé par la méthode dirons-nous plus « académique ».
Lors des rondes de surveillance du bétail, récoltes et autres, les gardes champêtres organisaient des chasses aux nuisibles ou petits animaux comme le renard, belette, la fouine, chat sauvage, le sanglier, blaireau, porc-épic, ou le hérisson (pas nuisible), etc., quand l'occasion se présentait.
Leurs cani corsi s'avéraient être de précieux auxiliaires lors de ces chasses nocturnes. Souvent tétanisé par l'effet de surprise, le cane corso arrivait par ses attaque fulgurantes, souvent seul à bloquer et tuer, un nuisible aussi agile et rusé qu'un renard. Une fois que cet animal sauvage était tué, il était ficelé à la selle du cheval et amené à la ferme pour y être dépecé puis consommé souvent en ragout (renard comme hérisson).
Ces gardes champêtres chassaient également les oiseaux nuisibles, des vergers, vignes et oliveraies, munit d'un long bâton ces derniers secouant dans tous les sens leurs bâtons dans les branchages, dans le but et faire fuir et d'assommer quelques passereaux comme les merles, fauvettes, moineaux, étourneaux, ortolans etc. au passage.
Le cane corso devait également être très agile et rapide, afin d'attraper ces derniers qui tombaient au sol déboussolés, pour la consommation de son maître.
Ces cani corsi étaient bien plus dynamiques et polyvalents que ceux destinés uniquement à la garde, car ces derniers devaient être capables de suivre pendant quelques heures un cavalier, ou un cycliste (il arrivait que ces gardes soient équipés de bicyclettes comme unique moyen de transport), qu'il soit également capable de chasser ponctuellement du petit et gros gibier et qu'il soit affecté également à la garde de nuit comme de jour.
Tous ces renseignements et témoignages nous montrent tout l'attachement que cette catégorie de population vouait à ce protecteur privilégié devenu indispensable et populaire par son travail et son physique hors normes dans le monde canin.